L’ancien Casino-Théâtre du Pâquier : (re)découvrez l’histoire de ce lieu emblématique d’Annecy !

Le Pâquier a beaucoup évolué au fil des siècles, et l’ancien Casino-Théâtre de la ville fait partie de son histoire. Ce lieu emblématique de la culture annécienne a traversé plusieurs transformations avant de disparaître complètement. Retour sur son histoire !

Plusieurs projets ambitieux

Au début du XXe siècle, la ville d’Annecy rêve de transformer le Pâquier en un lieu de divertissement prestigieux. L’idée d’y construire un casino et un théâtre commence à se dessiner à la fin du XIXe siècle, mais rencontre plusieurs obstacles. À cette époque, Annecy possède déjà un théâtre municipal sur le Pâquier, issu d’une petite salle de spectacle de 1785, reconstruite en 1826. Bien que modernisé avec une grande salle à l’italienne de 774 places en 1863, le théâtre connaît des périodes difficiles, entre dettes et critiques. Il est même surnommé “la verrue du Pâquier” en raison de son aspect vieillissant, et suscite des débats sur sa modernisation.

En 1895, un projet de casino porté par Victor Laydernier reçoit l’accord de la ville, mais faute de fonds suffisants, il ne pourra pas aboutir. Le projet est finalement abandonné.

En 1899, Saturnin Favre propose un projet ambitieux de 20 000 m² comprenant un casino, un hôtel de 200 chambres, un tramway, un cirque, un restaurant et même un hippodrome. Soutenu par la municipalité, le projet semble sur le point de se concrétiser en 1907, mais la mort subite de Favre et le contexte de la Première Guerre mondiale mettent un terme à l’initiative.

En 1908, Alfred Verjus, premier adjoint de l’époque, propose un projet d’extension du théâtre existant pour y ajouter un casino. Bien que le conseil municipal soutienne l’idée, les difficultés financières d’Alfred empêchent le démarrage du projet, et la mairie finit par annuler les accords.

À la fin de l’année 1912, trois investisseurs proposent de rénover le théâtre pour y installer un casino, mais le projet échoue à cause de désaccords sur les délais de cautionnement. La guerre de 14-18 éclate et sonne la fin de ces ambitions.

Construction et inauguration du Casino-Théâtre

L’idée de créer un véritable casino-théâtre à Annecy refait surface en 1920, après plus de vingt ans de discussions et d’essais infructueux. La fin de la Première Guerre mondiale, sous l’impulsion du maire Joseph Blanc, marque un tournant pour ce projet ambitieux. Plutôt que de rénover l’ancien théâtre, on choisit d’ajouter une extension moderne qui allierait divertissement et jeux. Ce nouveau bâtiment, attenant au théâtre existant, comprend une grande salle des fêtes, deux salles de jeux pour le casino, ainsi qu’un café-glacier.

L’ensemble, baptisé Casino-Théâtre municipal, est inauguré en grande pompe le 2 juillet 1921​. Ce jour-là, la ville célèbre l’accomplissement d’un rêve vieux de 26 ans, après 21 projets et de nombreuses délibérations.

L’édifice, imaginé par l’architecte Verron, allie élégance et praticité, en réunissant un théâtre et un casino dans un même espace. Il conserve le théâtre à l’italienne d’origine avec ses balcons et son grand rideau, tout en ajoutant des espaces modernes dédiés aux jeux et à la musique. Situé au bord du Pâquier, face au canal du Vassé, le Casino-Théâtre devient rapidement un lieu emblématique d’Annecy, aux côtés de l’hôtel de luxe Impérial Palace inauguré quelques années plus tôt en 1913​.

Une vie culturelle et mondaine

Le Casino-Théâtre du Pâquier devient un lieu animé, où la vie culturelle et mondaine prend son essor. Le matin, les promeneurs se détendent sur la terrasse du café, tandis qu’en soirée, la salle accueille pièces de théâtre, concerts, galas et spectacles d’associations locales. Les enfants des écoles montent même sur scène pour les fêtes de Noël, un événement toujours dans les mémoires de ceux qui ont grandi à Annecy. La tradition culturelle se poursuit avec une troupe en résidence dans le théâtre, tandis que le casino, où l’on joue à la roulette ou au jeu de la Boule, attire une clientèle élégante, bien que modeste comparée aux grands casinos des villes thermales.

Malgré son animation, le lieu rencontre rapidement des problèmes financiers et structurels. La gestion est compliquée, avec des déficits récurrents, la fréquentation en demi-teinte hors saison et la rentabilité du casino déçoit. Dès les premières années, le bâtiment lui-même montre également des faiblesses, avec notamment des infiltrations d’eau qui compliquent son entretien. Pour relancer l’attrait du lieu, plusieurs travaux sont entrepris et de nouveaux espaces sont aménagés à la fin des années 1920 : une salle de danse avec orchestre, une véranda pour le jeu de boules et une terrasse permettant d’installer une brasserie-restaurant. Malgré ces efforts, le succès financier n’est toujours pas au rendez-vous​.

De la Seconde Guerre mondiale à l’après-guerre

La Seconde Guerre mondiale va porter un coup fatal au Casino-Théâtre. Pendant le conflit, l’activité culturelle et les jeux disparaissent presque entièrement. Le bâtiment reste dans l’ombre, réquisitionné ou simplement fermé, car il est impossible de le chauffer et de l’entretenir. Les habitants, préoccupés par les restrictions et l’Occupation, n’ont plus le cœur à la fête. En 1945, le Casino-Théâtre n’est plus qu’un souvenir : une structure vieillissante et des équipements obsolètes, nécessitant une rénovation complète pour espérer renaître.

C’est précisément l’intention de la municipalité d’après-guerre. Au début des années 1950, un grand chantier de reconstruction est lancé sur le site. On rase les anciennes installations et on construit un nouveau Casino-Théâtre, le quatrième du genre à cet endroit. C’est l’architecte annécien Paul Jacquet qui est choisi pour concevoir le nouveau bâtiment, qui doit s’intégrer harmonieusement avec le style Art déco des immeubles voisins, construits sur l’avenue d’Albigny. Inauguré en 1955, ce nouvel édifice, plus moderne, peut accueillir 880 spectateurs dans une salle polyvalente. Exit le style Belle Époque, place à une esthétique plus sobre et fonctionnelle, en phase avec les années d’après-guerre et l’essor des Trente Glorieuses. Ce nouveau “Casino municipal” se veut à la fois un lieu culturel (théâtre, spectacles) et de loisirs nocturnes (salle de jeux, dancing), pour une ville qui cherche à retrouver ses marques après les privations de la guerre.

Le déclin du Casino-Théâtre

Les premières années qui suivent la reconstruction de 1955 semblent prometteuses. Le Casino-Théâtre accueille divers événements, et les Annéciens retrouvent le plaisir de sortir, que ce soit pour un bal costumé, une représentation théâtrale, ou tout simplement pour savourer une glace ou un diabolo menthe en terrasse. Cependant, les nouvelles formes de divertissement et l’évolution de la ville finissent par reléguer peu à peu le Casino-Théâtre au second plan… En 1965, la fermeture de l’Impérial Palace, qui privait Annecy de son prestigieux hôtel-casino, aurait pu profiter au casino municipal. Mais avec l’arrivée du Festival d’Animation en 1960 et d’autres initiatives culturelles, la ville réalise rapidement la nécessité de disposer d’équipements plus modernes.

Au début des années 1970, le Casino-Théâtre commence à vieillir et sa salle, bien que grande, ne répond plus aux attentes des artistes et du public en termes de confort et d’équipements techniques. En 1973, des travaux de rénovation sont nécessaires pour le maintenir en état. En 1976, le Centre d’Action Culturelle de la ville occupe l’espace en attendant la construction d’un nouveau centre culturel. Dans les années 1980, la fréquentation du casino diminue et l’ambiance n’est plus aussi animée qu’auparavant. Les joueurs sont moins nombreux et préfèrent aller ailleurs.

Les problèmes du casino s’intensifient dans les années 1980. Une importante affaire de fraude éclate cette année-là, impliquant la plupart des croupiers et même la direction. Depuis des années, une partie du personnel détourne les recettes des tables de jeu après la fermeture, entraînant des pertes considérables. Le scandale éclate au grand jour et donne lieu à un procès retentissant en 1981​. Pour beaucoup, c’en est trop : ce casino municipal, jadis fierté de la cité, est désormais synonyme de malversations et de vétusté.

Le clap de fin du Casino-Théâtre

En 1981, il est décidé de tourner définitivement la page. Alors que les travaux du nouveau Centre culturel de Bonlieu touchent à leur fin, le destin de l’ancien Casino-Théâtre est scellé. En octobre de cette même année, le bâtiment est démoli en quelques jours après 60 ans d’histoire sur le Pâquier. Bien que la disparition du lieu marque la fin d’une époque, elle s’inscrit dans un projet de réaménagement du centre-ville. La démolition du casino ouvre ainsi un terrain de plus de 10 000 m², redonnant de l’espace aux promeneurs et offrant une vue dégagée sur le lac d’Annecy.

En lieu et place de l’ancien casino, Annecy ouvre sa nouvelle vitrine culturelle : le Centre Bonlieu. Ce complexe moderne, inauguré en 1981, comprend un théâtre, une médiathèque, des salles d’exposition, des commerces et un parking. Suite à la fermeture du Casino-Théâtre, la ville se retrouve sans casino pendant dix ans. Il faudra attendre 1991 que l’Impérial Palace, fraîchement rénové, rouvre un espace de jeux d’argent.

Aujourd’hui, plus rien ne rappelle physiquement l’existence du Casino-Théâtre. Sur la pelouse du Pâquier, les promeneurs foulent sans le savoir l’emplacement exact où se dressait autrefois ce bâtiment emblématique.