Au cours de la Seconde Guerre mondiale, Annecy a été le théâtre de bombardements dévastateurs qui ont profondément marqué ses habitants. Bien que souvent oubliées, ces attaques ont causé de lourds dégâts et fait de nombreuses victimes, principalement parmi les civils. Revenons sur ces événements tragiques qui ont frappé la ville durant cette période difficile.
Annecy, une ville sous occupation
Annecy et la Haute-Savoie ont été occupées par les forces allemandes du 18 juin 1940 au 25 août 1944, date à laquelle les forces alliées libérèrent la région. Pendant cette période, la ville d’Annecy était sous contrôle direct de l’armée allemande, avec des impacts importants sur la vie quotidienne et sur l’organisation de la résistance locale.
Bien qu’éloignée des combats frontaux, Annecy servait de base logistique et industrielle stratégique. Plusieurs usines étaient présentes, notamment SRO, ancêtre de NTN-SNR, un objectif militaire clé. Ces infrastructures étaient régulièrement visées par les frappes aériennes alliées, en raison de leur production d’équipements et de matériaux utilisés par l’armée allemande. Située en plein cœur de l’agglomération annécienne, l’usine SRO était spécialisée dans la fabrication de matériaux réfractaires, employés dans les industries de la métallurgie et de l’armement.
Trois bombardements importants
Les Alliés ont mené des bombardements sur des sites industriels situés dans les zones occupées par les nazis pour perturber la production de matériel de guerre et affaiblir l’effort allemand. L’usine SRO a ainsi été ciblée à plusieurs reprises, entraînant de lourds dégâts et de nombreuses victimes :
Le bombardement du 11 décembre 1942
Début décembre 1942, le bureau militaire de Lyon passe une commande de 400 000 roulements à rouleaux spéciaux pour les panzers (chars allemands). Lorsqu’ils apprennent cette commande stratégique, les autorités britanniques décident de frapper l’usine SRO, un maillon clé dans la production de ces pièces.
Le vendredi 11 décembre 1942, à 20h30, l’aviation alliée lance un bombardement “à l’aveuglette”, c’est-à-dire à haute altitude, en raison de la forte présence supposée de D.C.A. (défense anti-aérienne) allemande. Malheureusement, la précision fait défaut et le bombardement est largement dispersé. Plusieurs quartiers résidentiels, dont La Prairie, les Balmettes et l’avenue de Loverchy, sont touchés, causant cinq morts et de nombreux blessés.
Plus de 70 bombes non explosées seront retrouvées dans le cimetière de Loverchy après l’attaque.
Le bombardement du 11 novembre 1943
Le matin du 11 novembre 1943, Annecy est secouée par une violente explosion, à l’aube, lorsqu’un transformateur de l’usine SRO est touché. Ce premier incident annonce un raid aérien qui va bientôt frapper la ville. Vers midi, les sirènes d’alerte retentissent, annonçant un nouveau bombardement. Quelques minutes plus tard, un avion trace un large cercle de fumée blanche au-dessus de l’usine, censé délimiter la zone à frapper.
L’objectif de l’attaque était de détruire les installations stratégiques de l’usine SRO mais un facteur imprévu va aggraver la situation : le vent. Celui-ci déplace la fumée, et la zone de frappe se déplace avec elle, obligeant les bombardiers à viser plus largement. En conséquence, les frappes s’étendent bien au-delà de l’usine, touchant des quartiers résidentiels, notamment la Plaine d’Annecy, à près d’un kilomètre de l’objectif initial.
Parmi les victimes de cette tragique erreur, on retrouve la famille du résistant René Noyer, habitant avenue de Loverchy. Une bombe de 500 kg frappa leur maison, la détruisant complètement. René Noyer, absent ce jour-là, échappa au pire, mais sa femme Paulette, ses deux frères Jean et Maurice, ainsi que leur bébé de huit mois, Monique, étaient présents. Si Paulette et ses deux frères survivent, Monique perd tragiquement la vie dans l’explosion. La maison des Noyer n’est pas la seule à être anéantie : un immeuble voisin est également réduit en ruines.
Le bombardement du 10 mai 1944
Le 10 mai 1944, quelques mois après le précédent raid, Annecy est à nouveau frappée par un bombardement aérien. L’objectif est une nouvelle fois de détruire l’usine SRO.
Avant l’attaque, la résistance française avait reçu des ordres de Londres pour détruire l’usine, mais cette mission s’accompagnait d’une menace sérieuse : en représailles, les Allemands avaient promis d’exécuter 100 otages. Face à cette situation, la résistance sollicite les Alliés, demandant un bombardement aérien pour éviter de nouvelles pertes humaines. Londres accepte, mais à une condition : l’usine doit être clairement repérable depuis les airs.
Le 9 mai, à 19h30, la BBC diffuse un message codé à l’attention des membres du mouvement de résistance des évadés français (M.R.E.F.). Bien que le message semble anodin – “Valentin fera de la salade avec des Salsifis, des Radis et des Oignons” – il sert en réalité à marquer le début de l’opération. Pour assurer la visibilité de la cible, des bottes de paille sont alors incendiées, créant des repères lumineux pour les bombardiers.
Le 10 mai, un avion éclaireur survole la zone, traçant des cercles dans le ciel. Puis, une fusée éclairante est lancée, illuminant l’usine comme en plein jour. À ce signal, une vague de bombardiers britanniques fait son apparition. Trente-trois quadrimoteurs Lancaster de la Royal Air Force larguent plus de 300 bombes sur l’usine SRO et une vingtaine supplémentaires sur les quartiers alentours, dont l’avenue de Genève.
Le résultat est dévastateur. Plus de 120 tonnes d’explosifs dévastent l’usine, détruisant une grande partie des bâtiments, des machines et des équipements. Au total, près de 20 000 m² sont anéantis. Bien que l’usine SRO soit sévèrement endommagée, les Allemands tentent de déplacer les machines vers un tunnel à Sevrier pour maintenir la production. Toutefois, ce transfert sera ralenti par la grève du zèle des ouvriers, qui ralentissent délibérément le travail et sabordent les machines.
Malgré tous leurs efforts, les Allemands ne recevront plus de roulements de la part de l’usine, mais ce succès est payé au prix de nombreuses vies humaines.
Annecy aujourd’hui
Aujourd’hui, Annecy ne garde plus de traces visibles des bombardements. L’usine SRO, aujourd’hui SNR, a été reconstruite et fonctionne toujours au même endroit. Récemment, en octobre de cette année, une bombe de 250 kg datant de cette époque a été retrouvé dans le secteur des bombardements, rappelant à tous cette période de l’histoire de la ville.
Crédits : Toutes les photos de l’article sont celles de l’association © Le Souvenir Français